
Parmi les énigmes relatives à Fonck, l’une des plus répandues a trait à l’écriture de son « best seller », le récit de ses combats sobrement exposé et commenté, dès la première page. Que ce soit écrit à la première personne n’autorise pas à en conclure pour autant qu’il s’agit d’une autobiographie. C’est sec, sans fioriture, ni exercice de style…
A-t-il été écrit par Fonck lui-même ? La réponse ne fait de doute pour personne et peu importe : plus qu’improbable ! En l’air, Fonck n’avait pas pour préoccupation première d’écrire l’Histoire au jour le jour. Généralement, on lui prête pour « nègre » son ami Jacques Mortane, journaliste et écrivain, qui eut l’occasion d’écrire ça et là maintes fois sur Fonck et sa « bande ». Que Mortane ait rendu un service d’ami à Fonck, a toujours fait partie du probable et bien des raisons militent en faveur de cette supposition, mais sans preuve…
Toujours est-il que cette auto-biographie connut un grand tirage à mainte réédition dans les décennies 1920 et 1930, puisqu’on relève une impression en 1939 et même – mais oui ! – en 2002 ! Ce livre reste recherché sur le marché de l’occasion et les spécimens portant une dédicace personnalisée sont jalousement conservés. Fonck ne se répandait pas en séances d’autres signatures et était aussi avare d’autographes que de cartouches…
Mais qui d’autre aurait pu tenir la plume ? Le document ci-après fait apparaître un contrat manuscrit rédigé sur un papier frappé du timbre fiscal de l’Enregistrement à 2 centimes. On lit ceci :
Entre les soussignés
1°. M. le Capitaine FOURCADE Jean-Albert, chevalier de la Légion d’Honneur, demeurant à Paris 25, rue Duvivier, d’une part,
2° et M. le Lieutenant FONCK, René, Paul, pilote aviateur, officier de la Légion d’Honneur, d’autre part,
il a été convenu et arrêté ce qui suit :
- art.1er : MM. Fourcade et Fonck forment par les présentes une association à l’effet d’exploiter un ouvrage ayant pour titre « Mes Combats » .
- art. 2 : le volume sera publié sous le nom du lieutenant aviateur Fonck. Il sera préfacé par M. Georges Clémenceau, président du Conseil, ministre de la Guerre, et le maréchal Foch, commandant en Chef les armées alliées.
- art. 3 : M. Fourcade s’engage à écrire l’ouvrage qui devra comprendre au moins deux cents pages environ sur les données, renseignements et documents du lieutenant Fonck, que celui-ci s’engage à fournir. Le lieutenant Fonck s’engage en outre à apporter les photographies et documents qui seront reproduits dans le volume.
- art. 4 : les deux associés s’engagent à agir en commun et au mieux de leurs intérêts, etc
Les parties avaient prévu des dispositions annexes. C’est ainsi qu’en cas de décès du lieutenant Fonck, le capitaine Fourcade continuerait seul l’ouvrage, à la condition de le faire paraître sous le nom du lieutenant Fonck et de verser aux héritiers ou ayants-droit de celui-ci la part de bénéfices revenant au lieutenant Fonck. Inversement, en cas de décès du capitaine Fourcade, le lieutenant Fonck pourrait s’adjoindre un autre collaborateur pour terminer l’ouvrage et qu’en ce cas, il devrait verser aux héritiers ou ayants-droit du capitaine Fourcade la moitié de la part de celui-ci, c’est-à-dire le quart des bénéfices.
Enfin, en cas de décès du capitaine Fourcade après la terminaison de l’ouvrage, ses héritiers ou ayants-droit continueraient à toucher sa part entière, c’est-à-dire la moitié des bénéfices.
Suivi des signatures respectives, ce contrat lu et approuvé fut » fait en double exemplaire à Paris le dix-huit juillet 1919 « , soit 4 jours après le grand défilé de la Victoire. Une mention fut ajoutée pour que le capitaine Fourcade, par dérogation aux stipulations des articles 4 & 5, « autorise le capitaine Fonck à signer seul les traités d’édition à passer avec la Librairie Flammarion ou tout autre », une copie desdits traités certifiée devant être remise dans la huitaine de chaque signature par le capitaine Fonck au capitaine Fourcade.
Si Clémenceau manifesta une considération toute paternelle pour l’As des as, sa préface annoncée resta absente au profit de celle de Foch. Il est curieux de noter qu’à la fin du contrat, le lieutenant Fonck ait, dans le feu de l’écriture, avancé d’un grade…Pour autant, rien ne prouve que ce contrat ait été réellement exécuté !

PLUSIEURS VERSIONS
Sous copyright de 1920, les éditions successives varièrent dans la présentation (pagination, illustration, qualité de papier ou de couverture), la consistance, le lieu même d’imprimerie. Par exemple, l’édition du 10ème mille coûtait 5,75 fr ; elle sortit de l’imprimerie L. Marateux. Comprenant un extrait du catalogue des dernières publications Flammarion, elle comptait 258 pages.
En 1925, parut une version plus soignée, à couverture solide, vert pâle. Au centre, l’aviateur en médaillon ovale, écharpe autour du cou et un pourtour fleuri. Pas d’autre image,
Celle de 1931 sortit de l’Imprimerie E. Grevin à Lagny. Elle ne comptait que deux photos. Par contre, celle de septembre 1933, de la même imprimerie, en compte 6 sur 4 planches qui représentent Fonck assis sur le protège-nuque de son Spad XII, son atterrissage forcé à Mervillers (Mthe & Melle), un avion allemand abattu, son combat du 26.09.18 à Souains (Champagne), en départ le 9 mai 1918 avant son 1er sextuplé et au rapport du second sextuplé le 26.09.18. L’édition d’août 1935, toujours chez Grevin & Fils, sortit en version restreinte à 130 pages (3,75 f) à couverture hélio bleue. Les photos d’archives sont tirées de la collection « Art & Histoire » et communiquées par Fonck.
En septembre 2002, à l’aube du 50e anniversaire de la mort de Fonck, parut chez Lavauzelle (Coll. « Les Reprints ») une réimpression à couverture solide. Présentée comme « fruit d’un partenariat du Commandement de la Doctrine et de l’Enseignement Militaire Supérieur de l’armée de Terre et les Ed. Lavauzelle », elle connut un sort éphémère – Bibliothèque du SDES Ecole Militaire Paris.
UNE EDITION AMERICAINE
Sous le titre « Ace of Aces » sortit en 1967 une version en anglais de « Mes Combats » . Edité chez Doubleday & Cy à New-York Garden City, ce livre de 168 p. est préfacé par Charles J. Biddle, major (commandant) de l’U.S. Air Service, membre de l’Escadrille La Fayette et des Cigognes. La traduction en a été assurée par Martin H. Sabin et Stanley M. Ulanoff, éditeur de la collection « Air Combat Classic ». L’ouvrage se décompose en 40 chapitres et la couverture en carton fort est revêtue d’une jaquette, frappée de la cocarde tricolore française.
En appendice, sont exposés les divers types de cigognes, les caractéristiques des Caudron et Spad utilisés par Fonck, un tableau de ses victoires homologuées et probables, le texte de ses citations, les caractéristiques et profils des avions amis-ennemis cités par Fonck, et des abrégés des as français, du Commonwealth, des as américains des « Cigognes » et des principaux as ennemis.
Imprimé aux Etats-Unis, l’ouvrage est illustré de 35 photos qui détaillent au lecteur de langue anglaise des physionomies et scènes de la Grande Guerre en rapport avec les actions de la chasse, de la reconnaissance et du bombardement selon les camps en présence provisoire.
VERSION ALLEMANDE ? « NEIN ! »
Au lendemain de Noël 1938, Fonck reçut une lettre d’un écrivain de guerre allemand Paul-Coelestin Ettighoffer (1886-1975), auteur de nombreux récits et romans ayant connu certains succès d’intérêt. Né à Colmar, alors annexée, il fut mobilisé et envoyé, comme bien des Alsaciens sur le front Est, puis envoyé à l’Ouest. Sérieusement blessé près de Verdun, il connut une captivité française.
Datée de Düsseldorf, le 23.12.37, cette lettre accompagnée de la photo d’Ettighoffer, en uniforme de lieutenant de réserve de la Wehrmacht et coiffé du « Stahlhelm » , disait ceci en français : » MM. Bertelsmann à Gütersloh, les éditeurs de mes ouvrages jusqu’aujourd’hui parus, m’envoient le contrat concernant la traduction de votre livre « Mes Combats » en langue allemande. J’ai lu avec beaucoup de plaisir et je crois pouvoir en faire la traduction, car c’est moi qui suis choisi pour faire ce travail.
« En étudiant le contrat, j’ai trouvé sous le n°6 quelques objections, que je veux soumettre à votre décision personnelle. D’après le contrat, je dois faire une traduction fidèle au texte, sous réserve des modifications indispensables à la présentation de l’ouvrage traduit. Si je veux respecter ce point 6 du contrat, la traduction allemande sera impossible, vu que les milieux des anciens combattants de l’armée allemande de Terre et de l’Air en seraient choqués, sinon offensés.
« Votre livre est paru en 1920, alors à une époque qui était bien loin du jour où tous les anciens comabttants de la Grande Guerre se considéraient comme frères d’armes, les vôtres et les nôtres. Il faut tenir concience de ce changement de vues. Votre livre doit montrer à la jeunesse allemande que « l’autre côté » avait ses héros, sa patrie et son dévouement suprême.
« Par cette traduction, je veux aider à l’affermissement de la paix entre les deux grands peuples voisins, mais pour atteindre ce but, je devrai faire une traduction un peu large, conformément au goût de mes jeunes lecteurs,qui liront avec plaisir les grands combats héroïques de l’As des as français. Les Anciens de la Grande Guerre liront aussi avec plaisir ce livre de l’As français qu’ils ont vu mainte fois tournoyer au-dessus de leurs têtes. Et puis le titre « Mes Combats » devra être changé, parce qu’Hitler nomme ainsi son livre « Mein Kampf« , c’est-à-dire « Mon Combat« .
« Je vous prie, cher M. Fonck, de me croire que je ferai une belle traduction, si vous me permettez les élargissements convenables et une traduction un peu plus libre.
Je suis bien connu en Allemagne, Angleterre et Amérique par mes ouvrages, qui ont des tirages formidables. Trois de mes livres ont dépassé les 100.000 en deux ans. Mon ouvrage »Verdun, le Jugement suprême » a eu un tirage de 140.000. La Maison Bertelsmann prépare de ce livre, qui a eu en France, dans « La Voix du Combattant », un grand éloge, un nouveau tirage de 30.000. Je suis moi-même ancien combattant, ancien chef d’une section de choc devant Verdun, officier, etc ;
« Je suis un des écrivains les plus populaires en Allemagne et en Autriche. Cette traduction de votre livre, faite par moi, aura dans les pays de langue allemande certainement un grand écho. Dans les pays de langue anglaise je suis connu par mes livres « Tovarisch » et « The Island of Doomed », parus à Londres.
« Je vous prie de me dire, si vous me permettez une traduction large. Sans cela, je ne puis accepter le travail que mes Editeurs m’ont offert. Acceptez, M. Fonck, l’expression de ma haute considération et mes souhaits pour la nouvelle année ».
De suite, il n’y en eut point, bien entendu. Non seulement, la proposition ne manquait pas de sel, mais Fonck, après avoir suffisamment attiré l’attention française sur le réarmement allemand à outrance, aviation en tête, n’était pas dupe des intentions belliqueuses du IIIe Reich. A cette date, les « jeux » étaient faits. Hélas…