
Le lundi 12 octobre 1981, le « fait du jour » à Saint-Dié était la venue du Président de la République, François Mitterrand. Le samedi précédent, l’évènement à Saulcy s/Meurthe était la vente aux enchères publiques des biens constituant la succession de René FONCK, décédé en 1953 à Paris, soit un ensemble comprenant un immeuble d’habitation désigné « pavillon de chasse », avec étang, dépendances bâties (ancienne écurie, garage, entreposage de produits de culture) et terrains, le tout d’une superficie de 29 ha, 02 ca et 96 ca. La mise à prix était de 1.200.000 fr.
Le 19 avril 1933, suivant acte notarié passé à Saint-Dié, René FONCK avait fait l’acquisition de ces immeubles sur M. Gustave-Gaston LUNG, propriétaire à Saint-Pierre, commune de Tilly-sur-Seulles ( Calvados), époux de Mme Jeanne NOLTE. Il était alors célibataire.
Si le nom du vendeur est ancré depuis longtemps à Saulcy, la maison d’habitation, une belle demeure bourgeoise, a une origine ancienne. Sa construction, plus recherchée que les maisons du pays et renforcée au grès rose de pays, lui valait d’être appelée « château des Censes ». Situé à l’écart de la commune, le lieu aurait été, dit une tradition orale, un pied-à-terre ducal de chasse, sous le règne du roi Stanislas Leszczinski, duc de Lorraine & de Bar de 1737 à 1766. Il est dominé par l’imposant massif forestier du Kemberg (761 m) et la voie y menant prit un jour la dénomination de rue René-Fonck.
Les terrains étaient répartis en 29 sections cadastrales, majoritairement de petite superficie, soit en nature de terre, bois taillis et bois résineux, sols, friches, prés, les plus grosses parcelles étant 5 ha de terre au « Haut du Fraye », 3 ha de terres ou pré, de 2 ha pièce à la « Basse de Morel Pré », au « Haut des Champs » ou au « Rain des Cailloux » et 3 ha de résineux au « Haut de la Pousse », toutes désignations connues de René FONCK depuis sa prime enfance et qu’il lui arriva parfois de survoler. Et même d’y faire un jour une démonstration quelque peu brutale d’atterrissage de nature à ameuter la gendarmerie…
AUX FEUX DES ENCHERES
Toutefois, cette vente présentait un caractère singulier, qui ébahit grandement les Salixiens accourus, afin que nul n’en ignore, à la salle du Foyer Rural. En effet, il s’agissait d’une vente sur licitation, en exécution d’un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris (2e Chambre) en date du 6 juillet 1978 et d’un arrêt de la Cour d’Appel de Paris, en date du 30 juin 1980, en la cause d’entre :
– Mme Mathilde-Adrienne-Sylvestre-Edmonde SILVESTRE, ex-sociétaire de la Comédie-Française, veuve de M. le colonel Paul-René FONCK, domiciliée 8, rue Balzac à Paris 8e, Melle Marie-Anne-Isabelle FONCK, sans profession, demeurant 16, rue Brey à Paris 17e, demanderesses, ayant pour avoué constitué Me Bolling, avoué à Paris, et pour avocats Me Martine Ullmann et Me Ader à Paris et Me Pierre Mourot à Saint-Dié.
– M. Edmond-René-Maurice FONCK, directeur commercial, demeurant 6, avenue d’Eysines à Bordeaux-Cauderan, défendeur, ayant pour avoué constitué la S.C.P. Moignard & Careto à Paris, et pour avocat Me de Guardia, avocat à Paris.
Et c’est ainsi qu’à 15 heures, prirent place les parties : dans un coin du fond de la salle, la veuve et la fille de l’aviateur assistées de leur conseil, et dans l’angle opposé, le fils de l’aviateur, assisté de son conseil. Au milieu, siégeait le public éclairé sur les tenants et aboutissants de la vente par la publicité légale de presse et d’affichage sur cet insolite duel intra-familial. Un public de curieux, d’agents immobiliers et d’ habitants n’ayant pas encore connu les parties sous cet angle. Sur la scène théâtrale, le notaire commis à la vente, Me Yves Gosse, était assisté de Me J.-L. Lallement, notaire à Saint-Dié.
Les bougies des enchères allumées, personne ne s’était manifesté à l’extinction des trois premiers feux de la mise à prix. Les feux rallumés dans le silence et cette fois au rabais d’un quart, M. Edmond FONCK manifesta son intention d’acheter. Quand il fut déclaré acquéreur, au prix de 90.000 fr et sous réserve légale de surenchère à l’expiration du délai de 10 jours, aux murmures succédèrent des applaudissements d’une partie notable de la salle qui se tourna vers l’intéressé pour lui manifester sa sympathie.
Pour autant, les jeux n’étaient pas faits, car à l’expiration du délai une surenchère du dixième fut portée par un Cabinet immobilier de Nancy, ce qui remit tout en cause. Des péripéties suivantes, il résulta que la propriété passa dispersée entre d’autres mains. Sic transit…